Ut pictura poesis

Publié le par KerAlan



Que peut,à une époque qui s'égare dans ses propres images,l'Art aujourd'hui-et,surtout,que doit-il être,si tant est qu'il doive être quelque chose?
 cette double question,une réponse-singulière à coup sûr! car,en effet,il faut bien justifier,trouver une utilité,une raison d'être,précisément,à ce qui ne s'impose pas.  Et l'art est bien placé pour témoigner de cette inutilité indispensable... - en forme d'hypothèse: étant une poétique,il doit permettre d'informer une certaine vision du Monde. Entendons : un mode d'accès à ce monde. Non pour le dominer, mais pour le comprendre,l'aimer,voire le dépasser. Michel Random,qui a publié,jadis(1979),un livre essentiel, L'Art Visionnaire, chez Nathan, écrit fort à propos "Le monde visionnaire est par définition le monde du voyage " Et,en particulier,ajouterons-nous,celui du voyage mental.
C'est dire si le peintre visionnaire a à voir avec le monde du rêve. C'est un passeur qui fait osciller le regard entre Monde réel et Monde rêvé,pour mieux nous introduire dans un ailleurs qui nous transporte "Any where out of the world N'importe où hors du monde",comme l'écrit si joliment-et fautivement-le Baudelaire du Spleen de Paris.
Alain Margotton est bien un peintre visionnaire.
Et, en ce sens, il ne se satisfait pas du désordre du Monde. Bien au contraire ! Il a ouvert un vaste chantier qui consiste à voiler le noir et le gris d'un habit de lumière. Non pour en masquer les imperfections, mais pour en exprimer-comme le jus d'un fruit-l'indicible beauté.
Tous les moyens sont bons. Car la tâche n'est pas facile. En témoigne l'azur qui livre, dans ses dessins, un nécessaire dialogue avec la mort.
L'enjeu, mettre à distance le néant. Permettre une renaissance. En tout cas, une forme d'espérance communicable. Si message il y a, cette peinture délivre cette évidence dans un jaillissement de lumière. Car cette peinture, à coup sûr, est source, fontaine-même si elle dit tout autre chose que la liquidité-. jouvence. C'est cette lumière séminale qui irrigue l'oeuvre et prélude ainsi à ce qui va advenir.
Alain Margotton tient à la fois du naturaliste, de l'architecte et de l'archéologue. Voir du savant fou ! Il tente d'approcher le mystère de la création. Il se préoccupe moins de nommer les choses-quoique !- que de faire apparaître des formes évanescentes dont le flou, parfois évoque la douce moiteur d'une buée déposée par un souffle pieux sur la vitre gelée.
C'est que cet art délicat et fragile offre fenêtre ouverte sur des paysages in vus que l'âme survole sans même songer à s'y poser. Il est de l'ordre de la caresse. Et il faut, sans doute, évoquer à son sujet une sensibilité à fleur de papier...
Ainsi, le regard du spectateur double celui du créateur appliqué à tenter de connaître ce qui, dans cette extériorité, est en train de pénétrer doucement une âme ouverte - offerte. L'expérience à laquelle il est convié est de l'ordre de l'initiation au mystère poétique. C'est à dire à la création en train d'advenir. Et il se trouve que cette création va dans le sens d'une recréation de soi qui régénère l'être tout entier. Aussi bien celui de l'artiste que celui du spectateur.
Accepter d'embarquer pour ce voyage intime avec soi-même, c'est accepter d'en sortir transfiguré. C'est quitter toute rationalité pour se pénétrer d'une expérience qui va faire du spectateur, à son tour, un voyant. Autrement dit, c'est ouvrir enfin les yeux.
Car en effet, peindre, pour Alain Margotton, équivaut à être un oeil. C'est pour lui se fondre tout entier en cet organe qui est moins de perception que d'exploration de la vie extra sensorielle. C'est faire corps avec le dessin et sa matière. C'est être la couleur et les formes, le chaos et la lumière tout ensemble. C'est faire l'expérience de cette alchimie rare où le corps et l'âme se fécondent pour féconder à leur tour l'oeuvre...
On ne regarde pas ces oeuvres, on est impliqué en elles. On voyage à travers elles. On fait l'expérience d'un trip qui n'a rien d'addictif. On apprend, dans cette montée vers la lumière qui est autant aspiration qu'inspiration, à renaître à soi-même. Ce qui, n'étant pas peu, n'exige pas moins.
Car s'il y a une exigence en peinture aujourd'hui, c'est bien dans le travail d'Alain Margotton qu'il faut en aller puiser le modèle.
Rien de gratuit dans cette expérience ! Le grand ethnologue et préhistorien français André Leroi-Gourhan, dans un ouvrage joliment intitulé Le fil du temps, nous invitait, en 1983, à ne pas ( trop ) nous désespérer du monde de la technique qui, effectivement, nous dépasse.
Il allait même jusqu'à montrer qu'elle permet de rapprocher l'homme de sa vie spirituelle. Il concluait ainsi:<<il n'est pas assuré que, dans le monde qui apparaît maintenant, la somme humaine des véritables élans spirituels soit condamnée à décroître.>> L'oeuvre d'Alain Margotton, entre autres, lui donne raison. Ce n'est pas pour rien que le peintre, comme le montrent certains autoportraits, s'intéresse à la préhistoire...
Ce que montre l'oeuvre d'Alain Margotton, c'est effectivement le passage. Celui de l'inconscient au conscient. Celui de l'immanence à la transcendance. Celui du chaos à la lumière. En quoi elle est résolument indémodable car hors du temps.
Ce dont nous protège cette oeuvre rare ? Du basculement dans l'aveuglement qui nous fonderait - nous autres papillons nocturnes - à la flamme.
Son message est simple : cette lumière palpite en nous. Il suffit de regarder autrement le Monde pour mieux comprendre ce qui provoque notre chaos intérieur. Si nous le voulons. Dès lors, il y aura initiation. Et, en premier lieu, à la beauté.
S'il y a une beauté, c'est que les ténèbres vaincues par une évidence révélée ne nous perdrons pas dans un vide inhabité.
Au contraire, nous rayonnerons nous-mêmes, en nous-mêmes, pour nous-mêmes et pour les autres ! Et cette beauté devenue nôtre nous mettra alors en harmonie avec un monde réinvesti par une humanité enfin retrouvée.
Tel est le sens du voyage tel que l'anticipe l'oeuvre d'Alain Margotton.
Il n'y a pas de retour prévu : on ne revient pas de soi-même...
Le poète Horace a raison : la poésie est comme la peinture ( Ut pictura poesis ). Ou l'inverse. Elle éclaire. Elle guide aussi peut-être. Cela se vérifie d'ailleurs dans notre modernité : de Hugo à Rimbaud, de Lautréamont à Poe, de Nerval aux poètes du Grand Jeu - qui prétendent être capable de voyager dans l'au-delà, dans le temps et accéder à la perception d'un univers inaccessible par nos sens.
Alain Margotton est visionnaire et poète.
On verra en quoi, ici, les différentes facettes de son talent se reflètent les unes dans les autres, se répondent spéculairement, pour ouvrir un nouvel espace de liberté. Celui-ci sera d'autant plus vaste que, confronté à l'étroitesse étriquée de nos vies, il nous donnera un avant goût de l'infini.
L'âme s'y attardera sans doute pour se charger de ce nouveau désir d'être au Monde qui signe la puissance de l'art.

                                                        Michel Lamart  2007
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